Le réglage de l'écran
vers une référence pour les sites photographiques

par Samuel Duchay http://duchay.photo.free.fr

Cet article s'adresse à tous les utilisateurs d'écrans ; non seulement aux photographes qui voudraient maîtriser un outil de travail, mais aussi aux usagers d'Internet qui regardent leurs images - y compris tous ceux qui se fatiguent les yeux sans savoir qu'ils pourraient optimiser leur matériel.

La vision est une vibration permanente

Horizon cinétique (D.M. Mac Kay)



Le réglage des valeurs

Par valeurs, j'entends les différentes intensités lumineuses qui se traduisent sur l'écran par des niveaux de gris. Chacune des 256 valeurs de gris, qui s'échelonnent entre le 0 (noir profond) et le 255 (blanc brillant) est formée d'un mélange homogène des trois couleurs de base : rouge, vert, bleu. Ainsi le gris médian, qui correspond à une moitié de blanc pour une moitié de noir, aura pour valeur 127 en niveaux RVB. Théoriquement, l'affichage de toutes ces valeurs (que l'on appelle : spectre continu), devrait constituer une référence. Dans la pratique on observe que seule une gamme de gris discontinue peut servir de base de réglage pour le contraste et la luminosité, car l'œil n'est pas un instrument de mesure, mais un organe sensible relié au cerveau ; il est soumis à l'appréciation relative du contraste et à la mémoire des sensations immédiates appelée permanence des impressions rétiniennes.

Plusieurs gammes de gris sont déjà disponibles sur Internet, sous les termes de : échelle de gris (grayscale), charte de gris, mire de réglage, nuancier noir & blanc, etc. Mais le plus souvent sans mode d'emploi destiné aux néophytes. J'ai choisi de me limiter à 18 valeurs de gris en affichage "plein écran" pour obtenir plus de confort visuel et un meilleur rendu des détails dans les zones très lumineuses et très sombres.

Le contraste et la nuance sont les bases de la sensibilité. Il n'est pas nécessaire d'être un professionnel de la chambre noire pour suivre le mode d'emploi situé sous cette gamme de gris. Chaque valeur sert de référence à la valeur voisine. Utilisez les réglages "luminosité" (brightness) et "contraste" (contrast) de votre moniteur, situés sur le panneau frontal ou dans un menu intégré. Faites confiance à votre perception visuelle et apprenez à connaître votre matériel afin d'en déterminer le meilleur usage. Le calibrage de l'écran est une étape indispensable avant tout travail avec un scanner, un logiciel de traitement d'images, une imprimante photo, une variété d'encre et un type de papier. (Ce réglage est automatiquement sauvegardé dans la mémoire non volatile de votre moniteur. Notez-le cependant car nous verrons qu'il y aura lieu de le modifier.)




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Procédure

Les 18 valeurs de gris doivent apparaître en dégradé régulier.
Positionnez contraste et luminosité au maximum. Si les gris du bas (les plus sombres) se confondent, vos moyens video sont limités ou bien la courbe de contraste de votre ordinateur doit être modifiée. Consultez votre mode d'emploi pour accéder au programme interne.
Si les gris du haut sont trop clairs, baissez le niveau de contraste.

Le noir doit être profond, le blanc doit être brillant.
Baissez graduellement la luminosité jusqu'à obtenir un noir assez dense. Mais le gris le plus sombre (en bas à gauche) doit se distinguer du fond noir. Vérifiez aussi que le gris le plus clair (en haut à gauche) se détache sur un fond bien blanc.
Ajustez le contraste pour adoucir les nuances tout en conservant du relief.

Pour les habitués de la chambre noire

Quand on a pris l'habitude de travailler le tirage dans le détail, la gamme de gris ne sert que de base de travail ; le réglage le plus fin s'ajuste en affichant des photographies qui possèdent une gamme beaucoup plus complète de valeurs. Les critères d'appréciation sont à peu près établis dans tous les laboratoires :

  • Les zones les plus claires doivent conserver de la matière, excepté dans les cas extrêmes (reflets directs, soleil dans le champ, etc.) qui seront traduits par du blanc pur. Il se trouve que ce blanc est conditionné par le support lui-même ; celui d'un papier photo n'aura pas le même rendu que celui d'une trame sur écran électronique. L'important est de retrouver un équivalent de l'effet que l'on souhaite obtenir.

  • Les zones les plus sombres doivent rester lisibles et non opaques, sans pour autant devenir délavées. Le niveau de noir, judicieusement dosé, apporte de la dynamique à l'image ; mais il a tendance à plomber la transparence de l'air dès lors qu'on en abuse. Les effets graphiques exagérés nous font oublier que "le Noir & Blanc, c'est surtout du gris", comme on dit dans le métier.

Après le regard analytique, une vision globale s'impose. Quel que soit le support, chaque photographie est un ensemble qui se voit d'un seul coup et qui possède une ambiance particulière. Certains regardent l'image à l'envers, d'autres se reculent de trois mètres ; il est nécessaire d'arriver à fabriquer une cohérence à force de coups d'œil séparés, afin que le transfert sur écran préserve ce qui fait que l'œuvre originale n'est pas un paquet de nuances, mais un tout organique.



Le réglage des couleurs

Ici le problème est radicalement différent de ce qui se passe en Noir & Blanc, puisque nous ne pouvons pas juger efficacement des couleurs, ni les unes par rapport aux autres (car elles s'influencent mutuellement : un rose sur fond gris paraîtra carmin sur fond vert), ni même une par une (comment régler le niveau du rouge de référence si l'écran n'affiche qu'un fond rouge uniforme ?). Il serait trop long d'étudier ici toutes les illusions d'optique ainsi que les subtilités du langage concernant les couleurs naturelles. Tout le monde sait que l'herbe est verte, mais ce vert n'est jamais tout à fait la longueur d'onde établie par le spectromètre.

Dans un premier temps, on visionnera un grand nombre de photographies en essayant de se concentrer sur une couleur à la fois. La seule référence ne peut être alors que la mémoire des sensations colorées ; par exemple, le rouge d'une tomate bien mûre doit se distinguer du rouge d'une tomate encore ferme. Ou encore, il faut savoir que le vert de la végétation contient du jaune et du rouge, car dès que l'activité de la chlorophylle s'affaiblit, son pigment vert vif devient minoritaire et l'on voit apparaître les couleurs de l'automne. Quant au bleu du ciel, il ne doit pas ressembler à un papier peint uniforme. Les couleurs à l'état de fréquences pures n'existent que sur la mire de barres d'un moniteur de contrôle.

Bref, l'habitude de "voir faux" est due à l'oubli des couleurs naturelles, au manque d'exigence des utilisateurs et à une confiance démesurée en l'outil… Tout cela pour dire que le réglage doit préserver un maximum de variétés de teintes, afin que le système soit fidèle aux images qu'il transmet, et non pas représentatif des tendances esthétiques de son propriétaire - ou de ses défaillances visuelles. Gardons présent à l'esprit que l'appareil est au service de la sensation et non l'inverse ; puisque tout n'est pas mesurable, il reste à travailler la qualité de son appréciation en enrichissant sa culture visuelle. Si vous n'avez pas en vous le "vert Véronèse" ou le "rouge Carpaccio", comment sauriez-vous les identifier sur une reproduction ? La référence n'est pas dans l'appareil, mais dans le cerveau… ou nulle part.

Etalonnage à l'aide d'une mire de barres

Altérations
Un œil exercé pourra tout au plus repérer d'emblée sur l'affichage d'une mire couleur une décoloration (manque de densité chromatique) ou une saturation (excès artificiel de densité).

La décoloration se traduit par un effet de pastel dû à une quantité insuffisante d'informations, et par une impression de perte de contraste ; car si les couleurs n'ont pas assez de densité, l'image manque de relief et paraît délavée.

La saturation a pour cause une compression des nuances sur toutes les zones représentées : on la remarque au fait que les couleurs semblent déborder de leurs contours, au point que la définition de l'image peut en être affectée.

Le niveau correct se situe bien sûr entre les deux, dans une marge plus ou moins étroite selon les appareils, marge qui peut varier au cours de leur vieillissement. (A noter que les altérations ne se produisent pas de façon homogène, et qu'elles finissent par laisser apparaître des colorations dominantes.)



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Procédure

Reportez-vous au menu color, en manipulant les boutons situés généralement sur le panneau du moniteur (PC), ou à l'aide d'un programme intégré (série iMac). Si les couleurs sont trop vives, baissez le niveau général RVB (Rouge Vert Bleu) ; si elles sont trop pâles, augmentez celui-ci. A ce stade des opérations, il faudra peut-être retoucher légèrement le réglage des valeurs, car la luminosité et le contraste jouent directement sur la densité des couleurs. Quelques points de lumière en plus ou en moins peuvent "réveiller" une couleur un peu enterrée ou "casser" une couleur trop violente. (Attention néanmoins à ne pas continuer indéfiniment le petit jeu des réglages ; il faut arriver à un équilibre global et s'y tenir.)

Reste encore à chasser une éventuelle dominante (superposition d'une teinte particulière à l'ensemble du spectre coloré). C'est dans ce dernier cas que le réglage préalable des valeurs s'avère précieux, car il permet de mieux voir s'il y a une dominante gênante sur l'écran. Effectivement, c'est en revenant à la gamme de gris que l'on peut vérifier le bon équilibrage des couleurs, surtout en observant les gris clairs. Afin d'obtenir la plus grande neutralité, il faudra cette fois corriger les niveaux du rouge, du vert et du bleu individuellement. Par exemple, si le gris vous semble un peu vert, baissez graduellement le niveau de vert jusqu'au moment où vous atteindrez une nouvelle dominante, puis établissez ce niveau à une valeur intermédiaire.



Application aux périphériques

L'imprimante photo

De manière analogue, en effectuant une impression papier du fichier "gamme de gris" sur une imprimante photo couleur, il devient plus facile de repérer une éventuelle dominante (surtout sur les zones claires) qui serait passée inaperçue au cours des précédents tirages. Le rééquilibrage se fera par étapes, en corrigeant à chaque fois le niveau colorimétrique d'impression de façon à obtenir l'épreuve Noir & Blanc la plus neutre possible à l'œil. Cette correction finale par compensation sera enregistrée, puis programmée ultérieurement pour obtenir un couple optimisé : cartouche d'encre/boîte de papier. Ces essais devront évidemment être associés à la même imprimante, afin de garantir la stabilité des résultats.

Le scanner à plat

On pourra maintenant utiliser le meilleur tirage possible de cette gamme de gris pour vérifier le calibrage du scanner par rapport à l'affichage de référence sur l'écran. (Il est recommandé d'effectuer ce tirage sur un papier mat, car les interférences entre une surface brillante et la plaque de verre du scanner créent des reflets parasites, qui faussent les densités d'origine.) Après quoi, le travail de correction se fera en fonction de la destination de l'image : un simple visionnage sur écran, ou un tirage sur imprimante. Pour cela, utiliser un logiciel de traitement d'images.



Contrôle et variété des réglages

Adaptations

L'ordinateur possède plusieurs fonctions, et à chacune correspond un réglage adapté. Ainsi le traitement de texte sur fond blanc demande parfois une diminution importante de la luminosité et un regain de contraste. (Il suffira de noter le réglage photo optimal, et d'y revenir avec les boutons de niveau.) Sans oublier de tenir compte aussi de la fatigue visuelle et de l'accoutumance du corps. Dans tous les cas, on aura intérêt à conserver dans la pièce un éclairage d'appoint aussi lumineux que l'écran (pour ne pas se focaliser sur cette zone), à la fois diffus (pour éviter l'alternance de taches de lumière et d'ombre), et assez neutre (pour que l'œil ne crée pas de compensation colorée). Il faudra bien sûr chasser les reflets parasites sur la surface de l'écran, se méfier des emplacements à contre-jour, et compenser les effets malencontreux du soleil ou les variations d'ambiance dues aux passages nuageux.

Aberrations

Attention à ne pas laisser le moniteur près d'une source de chaleur ou de rayonnement magnétique, comme les aimants des hauts-parleurs, qui peuvent dévier les faisceaux électroniques. De temps en temps, il faudra aussi débarrasser les circuits de leurs courants induits en appuyant sur le bouton degauss (démagnétisation). En l'absence de cette fonction, la bonne vieille méthode consiste à éteindre l'ordinateur pendant plusieurs minutes, en veillant à ce qu'il soit relié à une prise de terre. Certaines configurations engendrent des effets de moirage, par interférence entre le tramage des lignes et le rapport de résolution. Les systèmes les plus évolués disposent d'une commande pour éliminer ce défaut typiquement numérique.

Rapport de résolution

Ce paramètre définit la quantité de points affichés sur l'écran, et joue à la fois sur la taille et sur la finesse des images. Rappelons que certains rapports de résolution ne correspondent pas au format 4/3 de l'écran de base (par exemple :1280 x 1024), et que par conséquent ils peuvent déformer les images d'origine en modifiant leurs proportions. Il faut donc vérifier que le paramétrage de l'écran est en accord avec celui de la source, et indiquer en page d'accueil les rapports qui permettent un affichage des images compatible avec la surface de l'écran récepteur.



Une référence toute relative

A cause de la variété des types d'écrans et en l'absence d'une référence visuelle absolue, il serait souhaitable que le concepteur de chaque site propose une gamme de gris et une mire couleur sur la page d'accueil, afin de donner aux visiteurs la possibilité de régler les images et de les voir telles qu'elles ont été conçues par le photographe. Ce qui nous ramène à notre point de départ, à savoir l'éducation de l'œil et le bon usage des instruments.
Car de l'utilisateur dépend le pourcentage visible - et donc significatif - de l'image dévoilée par son écran : simple renseignement ou contenu à part entière. Sur ce potentiel repose à présent la partie émergée de l'œuvre en ligne. Le fichier numérique est en dernier lieu soumis au facteur humain et aux aléas mécaniques. Le monde virtuel n'échappe pas aux hasards du réel.

Copyright Objectif Numérique 5/07/2001