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compte-rendu d'un débat sur un sujet toujours brûlant par Samuel Duchay http://duchay.photo.free.fr
Voici le compte-rendu d'un débat organisé le 7 novembre 2000, lors de la Biennale de la Photographie d'Argenteuil (Val d'Oise). Une affaire de gros sous Pour Christian Caujolle, directeur de l'agence VU', tout a commencé lorsqu'un magazine people s'est vu régulièrement condamné pour l'exemple à publier en couverture ses amendes pour atteinte à la vie privée de telle ou telle personnalité du spectacle. L'homme de la rue a pris conscience à la fois de certains de ses droits et des sommes d'argent qu'il pouvait escompter en les faisant valoir. En effet, n'importe qui peut théoriquement revendiquer la propriété de son empreinte visible et se plaindre de la voir publiée sans son accord. Il appartient aux juges d'évaluer si l'intérêt collectif ou historique de l'image l'emporte sur la requête individuelle. On notera que le procès pour diffamation est passé de mode ; il ne rapporte généralement qu'un franc symbolique, alors que le "droit à l'image" est coté au minimum à 25 000 F. Contradiction dans les lois Georges Alvarez, membre de l'UPC (Union des Photographes Créateurs) signale un flou juridique au chapitre de la loi française en vigueur. D'un côté on prescrit le droit de tous les citoyens à l'information, ce qui sous-entend la reconnaissance du caractère collectif de la mission du photo-journaliste ; de l'autre on invoque le droit de chacun à "la dignité de la personne humaine", ainsi qu'à la propriété de son image et de l'image de ses biens. La frontière est confuse entre l'activité des photographes de presse et celle des paparazzi. Si l'on applique à la lettre le "droit à l'image", aucune photo n'est publiable et les reporters n'ont plus qu'à se reconvertir dans l'art abstrait. La liberté d'expression est menacée, les droits d'auteur piétinés, la carte de presse remplacée par la carte de crédit. La réalité sur le terrain Le photographe Gilles Larvor, auteur de portraits et de reportages, avoue qu'il est matériellement impossible de faire signer des autorisations à toutes les personnes représentées. Ce serait d'ailleurs installer une relation de méfiance incompatible avec une manière saine d'envisager le métier. De toute façon, il existe un "droit de repentir", valable pendant trente ans, qui permet au signataire ou à ses héritiers de revenir sur un consentement écrit. Alors, pour éviter un procès, il arrive parfois qu'un directeur de presse négocie en sous-main avec les intéressés. Ou bien il reporte la responsabilité sur l'agence de distribution, qui elle-même se défausse sur le photographe. Ce dernier est toujours censé autoriser une publication ; c'est donc l'auteur de l'image le maillon le plus fragile de la chaîne de diffusion. Un statut ambigu Pierre Gaudin, des éditions Créatis, rappelle que l'image est une donnée culturelle et que l'éducation du regard reste à faire. En gros, deux conceptions s'opposent : celle du scientifique ou du policier, pour qui l'appareil est un instrument de précision qui enregistre un document ou une preuve ; et celle de l'artisan créateur d'images, qui revendique une interprétation personnelle des faits. En allant plus loin, on peut distinguer ceux qui prétendent qu'il y a une vérité derrière les représentations, et ceux qui présentent leur vérité, c'est-à-dire un point de vue… Ce conflit théorique trouve son incarnation dans la pratique du photo-reporter, qui utilise la technique d'un pickpocket au service du devoir d'informer. Cette activité est par définition condamnable pour "détournement symbolique de la réalité d'autrui". Les dangers de l'autocensure Je rapporte ici ma propre intervention en tant que photographe militant : il est vital pour nous de rester mentalement libres au moment d'appuyer sur le déclencheur ; car notre rôle est avant tout de nous tenir prêts à saisir l'instant présent. Et cela, personne ne peut nous le retirer. L'avenir de nos images ne nous intéresse qu'après coup. Il ne faudrait surtout pas que la peur de la censure intervienne dans notre esprit dès la prise de vue. Nous avons assez à faire avec nos préjugés… Cela étant, si l'on admet qu'une bonne image est une image publiée, les photographes isolés doivent se regrouper afin de faire pression sur les élus pour modifier les lois. Après tout, le "droit à l'image" s'écrit entre guillemets parce que le droit n'est que l'expression d'une puissance. A nous de faire valoir le "droit de faire l'image". La maladie du droit Nous assistons actuellement à la décadence d'une véritable civilisation du droit née en 1789 et quelque peu dévoyée par la suite. Tout se passe comme si l'homme se définissait non pas par ses actes ou ses devoirs, mais seulement par son pouvoir d'interdire. Le procès est alors moins considéré comme un recours à la Justice que comme une agression en vue d'un profit. Car la tendance est aussi à la privatisation de tout. La photographie est victime de son succès depuis qu'elle est entrée sur le marché de l'art ; l'espace visible est soumis à la propriété et encombré par la publicité ; l'image et même l'information sont devenues des biens de consommation. Le photographe de rue apparaît comme le dernier chasseur-cueilleur d'un monde qui produit autant d'appareils photo que de règlements pour en circonscrire l'usage. Publication sur Internet A priori les mêmes lois s'appliquent sur tous les supports, même si, pour des raisons pratiques, il est plus facile de supprimer un fichier électronique que de détruire un stock de papier-journal ou de mettre un livre au pilon. Le plaignant peut toujours arguer que l'image en question a pu être copiée sitôt émise et avoir ressurgi dans un marché parallèle. En l'absence d'un droit international, un site interdit pourra se localiser à l'étranger ; la notion de "droit local" entre en contradiction avec l'emploi des nouveaux modes de communication. L'application des lois suppose également la surveillance de tous les messages par un programme Echelon surpuissant… En attendant, profitons d'une liberté somme toute provisoire. Copyright Objectif Numérique 27 novembre 2000 |
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