PHENIX ATELIER
le travail en chambre noire

par Samuel Duchay http://duchay.photo.free.fr


0. Le principe du tirage : du négatif au papier photographique.

Il y a dans la nature des écarts de luminosité allant de zéro (du charbon à minuit) à plusieurs milliards d'unités (le soleil vu de face). Proportionnellement, ces écarts sont traduits sur le négatif par une centaine de nuances ; mais le papier photographique n'en transmet qu'une dizaine de zones répertoriées de 0 à 9. Tout le travail technique et artistique du tireur consiste à rendre un équivalent de l'impression visuelle de départ, avec une gamme de gris qu'il pourra faire varier selon le caractère du sujet.

1. Les épreuves sont tirées sur papier baryté brillant à contraste variable.

Pourquoi baryté ?

Parce que ce type de papier est plus riche en argent, plus stable, plus beau et malheureusement beaucoup moins pratique à utiliser que le papier plastique (ou RC, pour Resin Coated) que l'on réservera aux planches-contacts et aux tirages d'essai. L'émulsion du papier baryté (ou fibre, ou cartoline) est en effet couchée sur un support fibreux qui s'imprègne de liquide et absorbe les produits chimiques en profondeur, ce qui nécessite un lavage assez long (une heure à l'eau courante avec vidage de la cuve tous les 1/4 d'heure). Sans compter les problèmes de déformation au séchage ; le support et l'émulsion ne se rétractent pas de façon identique et les épreuves se gondolent à l'air libre. Il faut donc sécher à froid entre des buvards (ou à chaud sur le côté tissu de la glaceuse) et parfois finir à la presse de relieur, ce qui est assez contraignant. Mais le résultat final est incomparable.

Pourquoi brillant ?

Parce que le papier mat, semi-mat ou perlé n'offre pas un rendu des contrastes aussi large. Cela joue en particulier sur la qualité du noir, qui demeure assez terne ; d'un autre côté, le blanc est plus détaillé mais moins éclatant. La surface mate n'est indispensable que lorsque le négatif, très abîmé ou rayé, nécessite que l'épreuve soit retouchée abondamment. (Il est difficile de faire autre chose que de la repique sur un papier brillant.) Après quoi l'idéal serait de projeter à la bombe un vernis qui la rende bien lisse, afin d'augmenter l'impression de netteté. Car les rayons lumineux qui arrivent sur une surface laquée rebondissent en ligne droite, au lieu de se diffuser dans tous les sens. Le seul défaut de cet "effet miroir" est de créer des reflets si l'image est placée juste en face d'une source de lumière. C'est pourquoi une certaine irrégularité de la surface n'est pas défavorable. Je préfère donc le "brillant séché" au "brillant glacé" qu'on obtient à chaud sur le côté métal de la glaceuse. A moins que l'épreuve ne soit destinée à finir en sous-verre, auquel cas le résultat est à peu près équivalent.

Pourquoi multigrade ?

Parce qu'on entend souvent parler de négatif dur ou doux, voire "équilibré" ; mais il est bien rare qu'un négatif ne contienne pas plusieurs zones qui demandent chacune un contraste adapté. Parfois il faut un filtrage zéro (extra-doux) pour le ciel, un n°3 (normal) pour la terre et un n°5 (extra-dur) pour les parties à contrejour. Le seul reproche qu'on a pu faire au papier multigrade (ou polycontraste), c'est de contenir deux couches sensibles superposées à quelques microns* de distance (* 1 micron = 1/ 1 000 000ème de mètre = 1/1000ème de millimètre), et que mathématiquement cela nuirait à la précision de l'image. C'est une question qu'on peut se poser dès qu'on a le malheur de savoir qu'il y a deux couches au lieu d'une ! Je me contente de travailler au dixième de millimètre... Plus sérieusement, on peut remarquer que la granulation augmente avec la montée en contraste. La combinaison des différents filtrages a donc une influence sur l'homogénéité du rendu. Mais les problèmes sont bien plus importants avec le papier à grade fixe : il faudrait adapter la prise de vue à la courbe de réponse du papier ; ce qui est irréaliste dans le cas du reportage avec un rouleau de 36 poses, des lumières très différentes, des erreurs d'exposition, etc.

Quel est le type de matériel utilisé ?

L'agrandisseur du laboratoire est pourvu d'une lampe halogène basse tension de 75W, d'une boîte à lumière diffuse et d'une tête multigrade ILFORD 500. Ce système permet de faire varier le contraste de 0 à 5 en continu, au lieu d'utiliser un tiroir à filtres en demi-gradation ; il m'arrive fréquemment d'affiner la pose à 3,25 ou 3,75. Je m'adapte ainsi à la plupart des cas de figure. Au-delà, il faudrait passer à la lumière froide ou à l'éclairage ponctuel. En fait, avant de parler tirage, on devrait parler développement ; parce que tout commence avec le négatif et son exposition. Il ne faut pas confondre les propriétés de l'éclairage (ensoleillé, nuageux, brumeux) avec celles du négatif (surexposé, sous-développé, voilé). On demande souvent au tirage de sauver la prise de vue. Or une image bien exposée au départ et correctement développée présente un velouté incomparable, même s'il est nécessaire de rééquilibrer l'épreuve (je n'aime pas trop le terme "maquiller") ; parce que le négatif est dix fois plus riche que le papier, on doit masquer certaines zones, assombrir, éclaircir, faire des transitions, etc. On peut même aller plus loin dans l'interprétation en valorisant les points les plus significatifs. Le tirage, c'est la mise au point des lumières ; c'est aussi la mise en scène du regard.

Quelle est la procédure employée ?

Je fais plusieurs bouts d'essai avec un filtrage normal (2,5) pour déterminer un temps de pose moyen. Après quoi je réalise un tirage direct (sans aucun masquage) qui va me servir de base de réflexion. Ce tirage est l'équivalent agrandi de la photo sur planche-contact ; il doit permettre une estimation de la matière et du contenu de l'image. J'essaie ensuite de trouver le sujet et quels sont les problèmes qui se posent, en commençant le plus souvent par les ombres ; car plus le filtre est dur, plus le temps de pose doit-être précis. La première difficulté consiste à "trouver le noir", c'est-à-dire le temps de pose à donner aux ombres, ainsi que le degré de contraste pour qu'elles soient détaillées. Ensuite, on regarde comment se comportent les blancs et on estime la durée des rattrapages. Mais il ne faut pas perdre de vue l'ensemble de la courbe ni le contenu de l'image, et ne pas contrarier la lumière d'origine sous peine de tout banaliser. Par exemple, une photo prise dans le brouillard doit souvent être contrastée au tirage afin d'étirer sa gamme de valeurs ; mais elle ne devrait pas contenir de noir profond ni de blanc pur, à cause de l'effet de diffusion qui caractérise la brume. Ceci évidemment dans la perspective d'un tirage réaliste, car la base du tirage est de savoir traduire un effet naturel avant d'interpréter à sa façon. Mais il n'y a pas de règle, chaque situation impose une démarche appropriée.

Le format de base est 24 x 30 cm

Il est également important d'agrandir suffisamment ses photos pour maîtriser le "territoire" du papier ; car plus on augmente la surface, plus on travaille la profondeur de l'image en y découvrant des zones significatives. Cette expérience acquise lentement au tirage permet d'acquérir une meilleure perception du détail lors de la prise de vue, et de prévoir le résultat final sur papier. C'est ce qu'on appelle "voir en noir et blanc". Mais le photographe qui tire lui-même ses images ne doit pas renoncer sous couvert d'expérience à des prises de vues intirables ; souhaitons au contraire que l'aventure continue dans la chambre noire.

Quand on débute, on se précipite vers le résultat ; en fait, il vaudrait mieux attendre que l'image nous dise comment il faut l'interpréter. Si je ne suis pas inspiré, je fais un essai sur papier plastique et je passe à autre chose. Autant le photographe peut être rapide et impulsif à la prise de vue, autant le tireur doit se permettre de prendre son temps et de réfléchir avant et après les opérations. (Cependant il ne faut pas regarder trop longtemps les épreuves de travail, car on finit par s'habituer à leurs défauts.)

Comment trouver le temps de pose et le filtrage adéquats?

Le principal problème posé par le papier cartoline, c'est qu'il se dilate dans les bains et se rétracte au séchage. (De plus, une surface mouillée apparaît plus brillante et moins détaillée.) Après quoi le grain se resserre et la densité augmente, on se retrouve avec une image trop sombre et sans vie. Il faut donc veiller à ce que les noirs ne soient pas "bouchés" et que les blancs contiennent un minimum de matière, afin que l'ensemble de l'image ne se mette pas à "plomber" à cause d'une exposition (ou d'une révélation) trop longue. C'est pourquoi on a intérêt à garder un morceau de papier blanc (ou le dos d'une feuille) dans la cuve de lecture* pour contrôler par comparaison la montée des hautes lumières. Et juger les épreuves encore mouillées dans des conditions toujours identiques : en dehors du laboratoire, à une distance invariable d'un éclairage électrique donné. Ou bien on estime la pose idéale pour une épreuve mouillée, puis on diminue le temps d'un certain pourcentage en augmentant à peine le contraste. Dans ce domaine, c'est l'expérience qui prévaut ; chacun fait sa petite cuisine. Il ne faut pas non plus négliger la densité du verre qui recouvrira l'image, son épaisseur ni sa coloration…
(* Il y a 5 cuves : révélateur, bain d'arrêt, fixateur, prélavage, lecture)

Quels sont les trucs et astuces de travail ?

J'utilise des pastilles et des caches découpés dans du carton doublé ; blanc d'un côté (pour voir l'image projetée) et noir en-dessous (pour que la lumière ne le traverse pas). La technique de masquage "entièrement à la main" me paraît relever de la prouesse gratuite ; on peut pratiquement épouser toutes les formes avec ses deux mains, mais on ne contrôle pas très bien sa cible. Je préfère la méthode du "dégradé invisible" : j'élargis peu à peu la zone visée en relevant progressivement le cache ou la pastille.
Il y a aussi quelques principes de base : il est plus pratique d'ajouter de la lumière que d'en retirer ; plus le filtre est doux, plus le trucage passe inaperçu ; ce qui se devine avant séchage sera visible après, etc. Mais il faut toujours partir de l'image, quitte à faire mentir les principes. S'il est important de savoir exploiter tout le négatif, on peut aussi l'interpréter en réduisant la gamme des valeurs. Tout dépend du sujet ; si la lumière est sale, autant faire encore plus sale. Je ne crois ni aux "beaux tirages" ni au "naturel". Le noir et blanc est conventionnel par nature.
Il m'arrive aussi de faire des retouches à la plume, au feutre ou au crayon gras pour faire sortir un détail. (Avec le procédé numérique, on peut travailler des zones minuscules et inaccessibles à la main ; c'est un avantage, à condition de ne pas se perdre dans le détail. Mais pour ce qui est du rendu sur papier, ce n'est pas encore au point. Il faudrait combiner "cache numérique" et papier argentique.)


2. Les images comportent des marges blanches et leur filet noir d'origine.

Pourquoi des marges blanches ?

Il est nécessaire de conserver des marges de quelques centimètres afin de manipuler le papier, pendant et après le traitement, sans pincer ni toucher l'image proprement dite. Cette présentation sert également à préserver l'intégralité de la photo au moment de fixer le bord du papier derrière un passe-partout. On perd un peu de surface, mais de toute façon les formats des papiers sont rarement homothétiques avec le rapport 2/3 du 24 x 36. Il est possible de placer la photo telle quelle dans un sous-verre, pour faire l'économie d'une marie-louise ; mais je ne suis pas favorable aux encadrements de couleur blanche qui ont tendance à assombrir l'image. Inversement, le noir l'éclaircit exagérément ; quant au gris, il risque d'interférer avec les gris de l'image. Ne parlons pas des dorures pour les bords !… Je préfère un passe-partout légèrement teinté, de ton ivoire ou blanc cassé. J'aime l'idée que le Noir & Blanc est un monde à part, et qu'au-delà du cadrage commence la couleur.

Pourquoi un filet noir et comment l'obtenir ?

Le tirage "avec filet noir" conserve la totalité du cadrage d'origine, puisque la partie noire correspond au bord transparent de la pellicule tout autour du négatif. Il nécessite un agrandisseur équipé d'un passe-vues agrandi au format 25 x 37 mm. Pour obtenir un filet noir à peu près régulier d'environ 1 millimètre, il faut d'abord que le plan du film soit rigoureusement parallèle à celui du papier (ce qui garantit par ailleurs une mise au point homogène). Pour cela, j'ai dû réaliser dans une planche de bois un plan de travail de 40 x 50 cm monté sur 4 pieds réglables terminés par des embouts anti-dérapants. Ce support est posé sur le plateau de l'agrandisseur, dont l'horizontalité a été vérifiée avec un niveau à bulle. La stabilité de l'ensemble doit évidemment être parfaite.

Ensuite, il faut que le rectangle du négatif (délimité par la fenêtre de l'appareil photo) coïncide avec le cadrage du margeur. En fait, pour davantage de précision et de régularité, je n'utilise pas de margeur à lames ; j'ai fait découper dans de la tôle d'acier de 2 mm plusieurs cadres aux dimensions usuelles des papiers photographiques, ajourés au formats 2/3 correspondants, soit :


  • un format 24 x 36 cm pour le cadre 30 x 40 cm,
  • un format 18 x 27 cm pour le cadre 24 x 30 cm,
  • un format 14 x 21 cm pour le cadre 18 x 24 cm,
  • un format 10 x 15 cm pour le cadre 13 x 18 cm.

A droite et à gauche de chacun des cadres sont soudées deux poignées qui permettent de les ajuster contre une équerre vissée sur le coin à droite en bas du plan de travail. Equerre qui sert également à caler la feuille de papier que l'on aura redressée à la main au préalable et glissée entre le support et le cadre. Le poids du métal est suffisant pour maintenir le papier bien à plat pendant l'exposition.


Pour éviter un défaut de symétrie, les cadres comportent un point de repère sur l'angle en contact avec l'équerre ; un petit rond de scotch blanc ou fluorescent découpé à l'emporte-pièce fera l'affaire. (Les systèmes de calage plus sophistiqués, à coulisse ou à charnière, sont plus compliqués à réaliser ; sans compter qu'ils risquent de comporter un jeu de fonctionnement rédhibitoire.)

Dans l'éventualité d'une fabrication industrielle, il serait important que tous les éléments soient peints en noir mat, et que les bords intérieurs des cadres soient biseautés à 45° pour éviter les reflets parasites. Comme il est très difficile d'usiner à la main du métal avec précision, j'ai préféré doubler l'encadrement intérieur avec du carton noir coupé au cutter. Ce bricolage un peu fragile fonctionne très bien ; mais l'idéal serait que ces cadres soient découpés au laser ou moulés dans une matière lourde, rigide et indéformable. Ou bien qu'ils soient fabriqués sur mesure pour chaque appareil, car les fenêtres des appareils photo 24 x 36 ne sont pas tout à fait équivalentes. Affaire à suivre… car ce système concerne aussi bien les photographes qui ne tiennent pas aux filets noirs, mais qui veulent conserver le rapport 2/3. (On peut également réaliser des séries de cadres aux rapports 4,5 x 6, 6 x 6, 6 x 7, panoramique 6 x 17, etc.)

L'intérêt de ces cadres est d'assurer une taille standard d'image adaptée à chaque format de papier… enfin presque ! Car le papier photo ne reprend pas toujours ses dimensions d'origine après séchage. Il se déforme plus ou moins en largeur et en longueur, selon le sens de coupe de la fibre, le temps de lavage, l'hygrométrie ambiante, etc. Ce jusqu'à 2 mm pour un 24 x 30 cm. Anamorphose qui peut s'avérer non négligeable dans le cas d'un portrait. Et détail qui prend son importance au moment de l'encadrement, si les passe-partout ont été découpés d'avance ou s'ils doivent resservir pour de nouvelles photographies. On aura intérêt à présenter les photos en laissant quelques millimètres de marge blanche entre le filet noir de l'image et le bord du passe-partout, ou bien à calculer juste en restant fidèle au même type de papier.

3. La question du tirage sur papier multigrade.

L'arrivée des papiers à contraste variable a modifié considérablement la pratique du tirage. Avant, il fallait trouver un compromis plus ou moins heureux entre les différentes zones de l'image en se limitant à une seule gradation à la fois. Comment effectuer un masquage sur un papier très dur sans éviter les traces entre deux zones ? Et l'on n'échappait pas à une certaine routine ; par exemple, une image prise en plein soleil était tirée systématiquement sur un papier doux (de grade 1 ou 2) pour conserver du détail dans les parties claires. Le principe de base était : "à négatif contrasté, papier doux", et vice-versa. Ce qui au fond n'est pas logique ; on devrait respecter l'éclairage de la prise de vue avant de chercher à compenser les écarts de contraste. A présent, on peut commencer par définir le rendu idéal dans les ombres avec un filtre 3,5 ou 4 (et un temps de pose assez court pour ne pas "boucher" les noirs) ; ensuite, on rajoute localement de la densité dans les parties claires avec un filtre zéro. On arrive à exploiter les extrémités de la courbe du négatif sans se résigner à rattraper les erreurs d'exposition.

C'est toute une approche du Noir & Blanc qui peut ainsi évoluer vers plus de nuances dans les valeurs et plus de finesse dans l'interprétation ; donc vers plus de fidélité vis-à-vis de la lumière d'origine. Chaque photo est un cas particulier qu'il faut traiter avec une palette de gris adéquate. Trop de gens l'ignorent, parce que le Noir & Blanc n'est plus le procédé standard aujourd'hui. A cause de la généralisation de la couleur, il est connoté "mode" ou "rétro", et souvent traité de manière artificielle ou parodique : contraste exagéré, flou artistique, effet de surexposition, éclairage "années trente", grain apparent, etc. On entend aussi des phrases du genre : "C'est très beau, le noir et blanc..." alors qu'il y a des dizaines de Noir & Blanc différents ! Tout cela prouve que pour la majorité des gens la couleur a pris en charge l'expression de la réalité quotidienne, et que le Noir & Blanc est devenu "de l'Art" ; autrement dit, un procédé purement décoratif.

A mon sens, la couleur appartient essentiellement au domaine de la peinture, parce que le peintre mélange (et fabrique parfois) lui-même ses couleurs et les répartit où il veut. Or, prendre une photographie, c'est plus ou moins céder à l'arbitraire ; on ne peut pas vraiment choisir l'arrangement des couleurs quand on fait un instantané. Il est déjà bien difficile de se concentrer sur les mouvements à l'intérieur du cadre et sur le cadrage lui-même ; si en plus on prend en compte les couleurs, on risque de faire une composition statique ou de la mise en scène. Mouvement ou couleur, il faut choisir… Par contre, on peut se faire une idée de la conversion de ces couleurs en valeurs de gris ; c'est tout le principe du Noir & Blanc. Parce que le paramètre "couleur" a été supprimé, la photo en Noir et Blanc est moins aléatoire que la photo en couleurs. Conclusion apparemment paradoxale, puisque a priori on voit en couleurs… Le noir et blanc simplifie d'un côté mais enrichit de l'autre, à condition de ne pas se limiter aux traitement de sujets particulièrement sinistres : guerre, délinquance, famine, etc. Comme si la couleur venait à manquer au monde représenté.

Il est important de se libérer de certains maniérismes ; par exemple, il y a la mode du vignetage (en particulier dans le domaine du portrait) qui consiste à "fermer" l'image en assombrissant son pourtour, afin d'attirer l'attention vers le centre ou se trouve généralement le modèle. Le plus drôle, c'est que cette manie est due à un défaut de répartition chez les premiers objectifs de prise de vue ! Un tirage ne devrait pas être ouvert ni fermé, mais "dirigé" ; on doit sentir d'où vient la lumière et comment elle se propage. C'est par exemple l'effet du voile atmosphérique : les objets les plus proches sont plus denses et plus nets, les lointains sont ternes et brumeux. On peut augmenter cet effet pour obtenir davantage de relief. Mais tout est affaire de cohérence entre le sujet, la lumière et l'interprétation. Dans le domaine du paysage, il y a des photographes qui noircissent le ciel exagérément pour fabriquer une ambiance ; d'autres qui imposent un type de tirage à tous les sujets pour mieux prétendre au "style"… L'éclairage artificiel a modifié notre sens de la lumière du jour à un tel degré que les critères ont changé. Le plus difficile, en définitive, c'est de faire sentir la qualité de l'air au moment du déclic ; la lumière ne doit pas tomber sur l'image mais provenir de l'image.

4. Quelques papiers photographiques et leur particularités (notés de * à *****)

Toutes ces notations sont fondées sur une expérience particulière et reflètent les goûts personnels d'un photographe. Entre la pellicule de départ et le tirage final, il y a beaucoup d'étapes et une infinité de paramètres qui vont jouer sur la qualité du résultat. Il n'est pas possible de tout contrôler, ni d'affirmer qu'un produit est meilleur qu'un autre sans préciser ce qu'on désire obtenir. A chacun de tâtonner pour trouver sa chaîne de traitement, en comparant les nouveaux produits à ceux qu'il connaît déjà, et en limitant ses choix pour ne pas passer sa vie à tout essayer.
Chaque papier possède une courbe de réponse et une tonalité qui varient plus ou moins selon le révélateur et la température de traitement. La courbe (en forme de S aplati) est définie par son pied, sa partie linéaire et son épaule. L'idéal théorique est de faire entrer toutes les valeurs du négatif dans la partie linéaire, afin de réaliser un tirage bien détaillé sans compression des valeurs extrêmes. Mais on peut également jouer sur le décalage du spectre et modifier certaines valeurs délibérément. Quant à la tonalité de l'image, elle demeure fondamentalement une affaire de goût.
Il y a deux démarches parallèles et complémentaires : chercher un papier standard avec lequel on pourra réaliser des séries homogènes, par exemple en vue d'une exposition ; ou inversement choisir un papier très typé en fonction de l'allure du négatif et du caractère de chaque image. Dans les deux cas il faut faire des essais pour bien connaître son matériel. L'intérêt de s'habituer à un standard, c'est qu'on peut établir sa chaîne de traitement en fonction du grade moyen (le 2,5) et que cela permet de "sentir" le tirage et les temps de masquage. Et il est plus subtil d'essayer de traduire avec le même papier des éclairages très différents.
Le temps de péremption des papiers n'est malheureusement pas indiqué sur les paquets, et l'on trouve d'une boîte à l'autre des différences dans la balance de contraste. Certaines marques sont plus ou moins sensibles au vieillissement et au voile, généralement le contraste diminue et les blancs deviennent grisâtres. Il ne reste plus qu'à les utiliser pour des brouillons et des cas particuliers (après tout, le voile équivaut à une prélumination des hautes lumières) ou à trouver de l'anti-voile : Benzotriazole à 3g par litre de révélateur.
(Note : Les déformations sont indiquées pour un format 24 x 30 cm.)

ILFORD FB.1K Polyfiber Multigrade IV (Angleterre, ton neutre) ****


Contraste : étendu (0 à 5,5)

Netteté : bonne (4,5/5)

Epaisseur : bonne (300g/m2)

Tonalité : neutre

Exposition : normale

Ce papier a pour qualité principale de monter en contraste de 0 à 5,5 (voire 6) comparativement au numéro 5 des autres marques, ce qui le rend indispensable au laboratoire pour "sauver" certains négatifs. Sa tonalité est à peu près indépendante du type de révélateur adopté. Il passe pour neutre, mais je le trouve plutôt froid, un peu creux et pas très sensuel… Il n'enjolive rien, c'est la rançon de la sobriété. La quatrième version de ce papier a été ajustée pour un meilleur rendu dans les hautes lumières. Un produit tout à fait irréprochable, souple et rapide, fabriqué par l'inventeur du multigrade et adapté à la gamme des filtres de la marque. Il sert généralement de point de repère. Déformation après séchage : – 1mm en longueur ou en largeur.

ILFORD Warmtone.1K (Angleterre, ton chaud) ***


Contraste : limité (0 à 4,5)

Netteté : bonne (4,5/5)

Epaisseur : bonne (300g/m2)

Tonalité : chaude

Exposition : lente (x 2,5)

Ce papier est nettement plus doux que la version "neutre", et monte de 0 à 4 ou 4,5 selon le révélateur. Il est également deux fois moins sensible, c'est-à-dire deux fois plus lent sous l'agrandisseur. Plus compliqué à travailler, mais assez "rond" à l'œil avec une belle densité qui donne de la profondeur à l'image. Le ton chaud est plutôt brun verdâtre avec des blancs crémeux, et paraît conçu pour le virage – opération supplémentaire que je ne pratique pas. Ses qualités de modelé sans agressivité en font un papier plutôt destiné au nu et au portrait, dans un genre pictorialiste.
Déformation après séchage : + 1 mm en longueur, à 1 mm en largeur.

TETENAL TT Baryt Vario 111 (Allemagne, ton neutre à chaud) *****


Contraste : normal (0 à 5)

Netteté : bonne (4,5/5)

Epaisseur : moyenne (290g/m2)

Tonalité : neutre à chaude

Exposition : normale

Ce papier monte en contraste de 0 à 5 sans problème. Il est aussi rapide que le ILFORD FB et un peu moins contrasté, mais possède un avantage supplémentaire : on peut lui trouver une "neutralité" plus ou moins chaleureuse adaptée à son goût en l'associant à un révélateur adéquat. Son rendu est naturel avec une courbe équilibrée, des blancs bien fournis et des noirs détaillés. Sa surface très brillante met en valeur le relief. Il est parfait pour la majorité des images car il n'impose pas trop sa personnalité au sujet ni au type de lumière. C'est actuellement mon standard personnel. (Seul problème : il a tendance à s'allonger une fois mouillé, au point qu'il ne rentre plus dans les logements de ma laveuse verticale PATERSON 24x30… Je dois lui couper au cutter 5 millimètres en longueur avant le traitement.) Il a tendance à s'enrouler sur lui-même après un passage à la glaceuse ; il vaut mieux le sécher à froid. Avec une épaisseur plus forte et un contraste augmenté, ce papier à la fois beau et pratique ferait sans doute l'unanimité !
Déformation après séchage : + 2 à 3 mm en longueur.

KODAK Polymax Fine Art Glossy (U.S.A. neutre à froid) ***


Contraste : normal (0 à 5)

Netteté : bonne (4,5/5)

Epaisseur : moyenne (290g/m2)

Tonalité : neutre

Exposition : normale

Ce papier n'a aucun défaut particulier ; il a une gamme de contraste de 0 à 5 et un temps de pose normal. Sa surface lisse et légèrement satinée lui donne une bonne tenue après séchage. Il a seulement tendance à "claquer" dans les blancs avec un rendu global un peu sec et métallique. A vrai dire, je trouve que le choix d'un papier neutre ou froid se justifie seulement quand la lumière elle-même est froide ou artificielle : jour de pluie, éclairage au néon, photo de nuit, etc. Il n'y a rien de plus subjectif que la notion de neutralité.

AGFA Multicontrast Classic 111 (Allemagne, ton chaud) ***


Contraste : normal (0 à 5)

Netteté : bonne (4,5/5)

Epaisseur : moyenne (290g/m2)

Tonalité : chaude

Exposition : normale

Ce papier a une courbe de réponse légèrement compressée dans les noirs, qui ont tendance à "bloquer" à la manière des anciens papiers Agfa Brovira. Il donne ainsi une impression de contraste au détriment du milieu de la courbe, qui reste un peu creux. (Je n'ai jamais compris pourquoi certains appréciaient tant d'obtenir des noirs profonds, alors que toute la subtilité du tirage consiste à conserver du détail dans les ombres) On peut l'utiliser pour donner un "coup de fouet" à des négatifs trop doux. Sa tonalité légèrement chaude et lumineuse le rend assez agréable à l'œil. C'est un beau papier si l'on veut, mais un peu trop typé pour s'effacer devant le sujet.
Déformation après séchage : 1 à 2 mm en longueur et + 1 à 2 mm en largeur.

FORTE Polywarmtone Plus FB Museum 14 (Hongrie, ton chaud) ****


Contraste : limité (0 à 4)

Netteté : très bonne (5/5)

Epaisseur : très bonne (320g/m2)

Tonalité : chaude

Exposition : très lente (x 3 à x 4)

Ce papier offre une gamme de contraste écourtée de 0 à 4 environ, avec une grande richesse de tons dans les hautes lumières et des noirs bruns assez doux : c'est un vrai chlorobromure à tons chauds, et l'on peut encore jouer sur le type de révélateur pour augmenter ou diminuer cet effet. Il a pour seul défaut d'être 2 à 3 plus lent à poser que le ILFORD FB, ce qui nécessite une lampe assez puissante sous peine d'obtenir des poses allant jusqu'à 5 minutes et des masquages à l'avenant! De plus, il faut s'habituer à sa balance plutôt douce et contraster davantage sans se laisser piéger par l'aspect flatteur des blancs dorés et des noirs sépia.
Un peu contraignant à travailler, il ne convient pas forcément à toutes les images (ni à tous les négatifs) mais sa personnalité ainsi que sa matière très fournie peuvent s'avérer irremplaçables pour traduire le rendu de la peau et la lumière du plein soleil. (Il est possible d'obtenir une tonalité plus chaude en augmentant la température du révélateur et en écourtant le développement, mais attention aux tirages délavés ou incomplets...)
Mention supplémentaire pour son épaisseur "museum" de 280g/m², très appréciable quand on manipule de grands formats. Belle surface d'un brillant satiné, mais qui a tendance à coller aux buvards de séchage. Il faut le passer à la sécheuse alors qu'il est encore un peu humide, et le laisser refroidir 10 minutes sous un dictionnaire ; on obtient alors une planéité parfaite.
Déformation après séchage : 1 mm en largeur, + 1 mm en longueur.

5. La repique sur les surfaces photographiques

Je rappelle que les surfaces brillantes sont plus difficile à travailler que les mates ; il faut en tenir compte si la repique est très importante et qu'elle confine à la restauration.

SpotPen, de Tetenal : la série de dix pinceaux existe en deux versions, tons neutres et tons chauds. Elle est assez pratique, car transportable, et les dix nuances masquent bien la plupart des gris. Et les reflets après séchage sont quasi invisibles. Mais le problème vient de la coloration de base un peu rosâtre qui ne se fond pas bien dans celle du papier.

Gris film, de Pébéo : les tubes de gouache, associés à un pinceau ultra-fin, sont très efficaces dans tous les cas. Il faut simplement un peu de patience pour chercher la nuance, et travailler avec une loupe afin de rester précis dans le tracé.

On peut également utiliser du crayon noir assez gras (5B et 4B), à condition de ne pas créer d'enfoncement dans le carton. Le stylo bille et le feutre laissent des reflets visibles, rouges ou brillants.